« Je suis la porte. Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé.

Il entrera et sortira et il trouvera la nourriture. »

Jean X, 9.

 

L’édifice de briques rouges, avec sa façade en grès de Nouvelle-Écosse, possède un portail Ouest classique qui incarne une dynamique de passage entre deux réalités, entre deux états ou deux mondes. En effet, tout portail incarne un seuil, une frontière qui ouvre sur le mystère. Il indique non seulement un passage, mais il nous invite également à le franchir. Il est donc ici une ouverture vers un pèlerinage sacré qui nous conduit jusqu’au Saint des Saints, au lieu de la Présence. Ainsi, il nous permet de quitter le monde profane pour pénétrer dans le monde sacré. C’est d'ailleurs pourquoi on y plaçait autrefois des « gardiens du seuil », figurés dans les édifices plus anciens, par des archers, des dragons, des lions ou des sphinx. Ils avaient pour fonction de rappeler à l’aspirant le caractère redoutable de la démarche qu’il allait accomplir en pénétrant dans le domaine sacré.

 

 

Façade Ouest de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste

 

En franchissant cette ouverture de la façade Ouest, nous sommes invités à marcher vers la lumière, quittant l’Ouest, qui évoque traditionnellement la mort, pour cheminer vers l’Est, qui incarne une dynamique de renaissance. En nous dirigeant vers l’Est, il s’agit de nous tourner vers ce qui est susceptible de nous assurer une vie nouvelle. Toute la misère de l’homme actuel réside d’ailleurs dans le fait qu’il éprouve en lui un désir de transcendance auquel il adhère plus ou moins consciemment, sans pour autant réussir à le concrétiser, demeurant tourné vers le monde. En franchissant le portail d’une église, nous concrétisons ce souhait de nous arracher au monde pour nous mettre en marche vers Dieu.

 

Toute personne désireuse d’aller à la rencontre du Très-Haut est dès lors invitée à franchir la porte et à entrer en elle-même pour marcher vers une rencontre exceptionnelle. Si le « ciel » est le véritable lieu de cette rencontre, il n’est toutefois pas à l’extérieur de soi, ou au-dessus de nos têtes. Il se trouve essentiellement à l’intérieur de nous, au-dedans de notre coeur : « La venue du Royaume de Dieu ne se laisse pas observer, et l’on ne dira pas : "Voici : il est ici ! ou bien : il est là !" Car voici que le Royaume de Dieu est au milieu de vous. » (Luc XVII, 20-21). Plus précisément encore, il se trouve au niveau du cœur, un organe que toutes les traditions anciennes ont perçu comme étant le lieu privilégié d’habitation de la divinité : « Ah ! Si mon coeur pouvait devenir une crèche, De nouveau ici-bas Dieu serait un enfant ... » (Angelus Silesius II, 53), s'écriait Angelus Silesius. Ainsi, nous sommes invités, en franchissant le portail de l’église, à entrer en nous-mêmes pour y établir une relation plus intime avec l’Éternel, faisant de notre coeur un espace de rencontre avec lui.

 

À l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste, le portail est suivi d’un portique qui rappelle l’antique narthex autrefois réservé à la formation des catéchumènes. L’entrée dans l’espace sacré proprement dit se fait ensuite en franchissant un seuil protégé par des portes monumentales en chêne sculptées, installées en mémoire du Colonel Arthur Norreys Worthington, décédé en 1912. Elles représentent saint Pierre qui, s’enfonçant dans les eaux, est sauvé par le Christ. Rappelons cet épisode : les disciples sont pris dans une violente tempête sur la mer de Galilée, mais Jésus vient à leur rencontre en marchant sur les eaux. Le considérant d’abord comme un fantôme, ils prennent peur, mais le Christ les apaise. C’est alors que Pierre lui déclare : « Seigneur, si c’est bien toi, donne-moi l’ordre de venir à toi sur les eaux. » (Matthieu XIV, 28). Aussitôt, Jésus l’invite à le rejoindre. Pierre, descendant de la barque, se met donc à marcher sur les eaux. Il prend toutefois peur et s’enfonce, appelant Jésus afin qu’Il le sauve. Le Christ lui tend alors la main et le saisit, lui évitant de sombrer (Matthieu XIV, 22-32).

 

 

Les portes monumentales

de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste

 

Ce récit évangélique n’a rien à voir avec une quelconque manifestation paranormale de lévitation, ou avec une négation des lois de la gravité. Il nous rapporte plutôt que saint Pierre, chef de l’Église et prince des apôtres, fut confronté aux vagues dissolvantes du monde dont il triompha en ayant tendu la main au Christ, s’étant intériorisé pour demeurer dans la présence divine. En effet, le Christ est le Verbe, celui qui nous permet d’exister malgré la loi d’entropie qui menace notre être en permanence. Cet épisode nous rappelle également, comme l’a si admirablement enseigné le philosophe juif Martin Buber, qu’il existe un primat de la relation sur l’être, puisque notre véritable existence naît de la relation avec l’autre.

 

Certes, il ne s’agit pas ici d’un événement spectaculaire aux yeux de l’ego, mais chacun y reçoit un message d’une importance capitale, lui enseignant à demeurer ferme et à maintenir sa singularité devant les vagues déferlantes que le monde dirige contre lui pour le détourner de lui-même. Il lui enseigne également l’importance capitale de la relation avec l’autre dans une expérience qui lui donne d’exister.