« Vous êtes la lumière du monde. Une ville ne peut se cacher,

qui est sise au sommet d’un mont. Et l’on n’allume pas une lampe

pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, où

elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. Ainsi, votre

lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu’ils voient vos

bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux. »

Matthieu V, 14-16.

 

La nef latérale Sud se trouve à droite, en remontant du fond de l’église. Étroitement associé à une dynamique de rayonnement, le Sud est lié à diverses formes d’implications sociales qui nous invitent à placer nos aptitudes et nos capacités au service de la communauté, partageant nos ressources pour le mieux-être de la fratrie. C’est un idéal qu’on a beaucoup de mal à envisager aujourd’hui, notre société moderne faisant presque de manière exclusive la promotion du bien-être individuel et des avantages personnels. La question sur toutes les lèvres est toujours la même : « Qu’est-ce que l’État peut faire pour moi ? », alors que celui qui est sensible à la dynamique incarnée par le Sud s’interroge plutôt de la manière suivante : « Qu’est-ce que je peux faire pour l’État, pour ma communauté ? ». À quoi bon en effet développer nos qualités personnelles, si celles-ci ne servent pas aux autres ? À ce titre, une question fondamentale était d’ailleurs toujours formulée, dans les sociétés traditionnelles, à l’enfant qui se préparait à devenir adulte : « Que vas-tu apporter à ta communauté ? ». Appelé à sortir d’un monde articulé autour de ses propres intérêts, le jeune devait alors s’ouvrir à une réalité plus vaste.

 

 

Nef latérale Sud de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste

 

Dans de nombreuses traditions, le Sud est aussi mis en rapport avec l’été, la saison la plus chaude de l’année. Si le froid s’incarne, nous l’avons vu, dans une dynamique de rétractation, le chaud se matérialise plutôt dans un principe de dilatation. Si le froid favorise une tendance à l’introversion, faisant passer du milieu extérieur vers les mondes intérieurs, le chaud évoque, à l’inverse, une dynamique d’extraversion faisant quitter les plans intérieurs pour s'exprimer au-dehors. Ainsi, le Sud nous invite à nous investir sur le plan extérieur afin de rayonner la force qui nous anime à travers des paroles et des œuvres. L’homme du Sud est un être chaleureux qui communique aux autres l’énergie dont il est porteur, une énergie débordante. Qui n’a pas un jour été stimulé par le geste, le regard ou le simple sourire d’une personne qui croisa son chemin ?

 

De même, le Sud est mis en rapport avec l’heure de midi où le rayonnement de la lumière atteint son apogée. Nous sommes alors exaltés et nous exprimons pleinement ce que nous sommes, en toute vérité et en toute authenticité. En effet, midi est l’heure où il n’y a plus d’ombre, une réalité qui évoque tout ce que nous avons refoulé dans l'inconscient par crainte d’être rejetés par les personnes qui ont joué un rôle déterminant dans notre éducation.

 

Complémentaire au Nord, que nous avons associé à la vertu de foi, le Sud est associé à la vertu de charité qui concrétise la foi dans des œuvres, nous invitant à nous soucier d’abord de l’autre et de son salut. Martin Buber nous rappelle l’importance de cela à travers une histoire fort éloquente. Si la vie dans l’Esprit est tout entière tournée vers l’autre, une attitude que l’Apôtre désigne avec le mot grec agapè, cet amour fraternel va en outre jusqu’au sacrifice de soi. En fait, c’est l’amour que Sarah a enseigné à son époux Abraham lorsqu’il s’adressa à elle en ces termes : « Dis, je te prie, que tu es ma sœur. » (Genèse XII, 13).

 

Si la nef latérale Nord est associée au baptême, nous pouvons affirmer que celle du Sud est liée au sacrement de la confirmation qui perfectionne la grâce du baptême en favorisant son développement, de telle sorte que ceux qui sont devenus chrétiens par le baptême reçoivent la force de résister aux attaques du monde et de témoigner de l’amour tout autour d’eux. Fortifiant la foi dans leur coeur, afin qu’ils puissent confesser et glorifier le nom du Seigneur, le mot qui sert à désigner ce sacrement ne vient pas du fait que ceux qui ont été baptisés dans leur enfance sont ensuite conduits devant l’évêque pour « confirmer » la profession de foi que leurs parrain et marraine ont faite en leur nom au moment du baptême. En réalité, la confirmation tire son nom de ce que Dieu, par la vertu de ce sacrement, confirme en nous ce que le baptême a amorcé, et nous conduit à la perfection de la vie chrétienne. Non seulement ce sacrement confirme la grâce, mais il l'augmente également.

 

Considérant ce symbolisme du Sud, le Chapitre Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Jean l’Évangéliste a fait installer, dès son arrivée dans les lieux, un grand support contenant des lampions proposés à la dévotion des fidèles. En effet, l'Église propose traditionnellement à ses fidèles des bougies votives qu’ils allument en formulant intérieurement un voeu. Demeurant quelques instants devant la flamme, ils prient avec intensité en demandant que soit exaucée leur requête. En allumant un lampion, le pèlerin de passage dans notre Église-Cathédrale exprime toutefois un souhait plus précis, celui de devenir une lampe allumée qui éclaire le monde, après avoir fait une démarche de foi qui l’a conduit à s’imprégner de la présence de Dieu devant le Maître-Autel.

 

En effet, il importe de rappeler ici « que l’on n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux. » (Matthieu V, 14-16). Le pèlerin s’associe alors à des milliers de croyants qui, depuis plus d’un siècle, ont fait de cette église un haut lieu de dévotion et de rayonnement de la lumière du Christ.

 

 

Lieu d’offrande d’un lampion à la sortie

de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste

 

Parcourons donc cette nef latérale Sud en étant animé de la charité  qui nous incite à rayonner dans le monde tout l’amour qui luit en nos coeurs. Elle supporte les sept dernières stations du chemin de croix, associées par Dom Charles-Rafaël Payeur au développement et à la pratique des sept vertus.

X

« Après avoir marié son fils à la fille de Rabbi Eliezer, Rabbi Haïm de Tsans se présenta chez le père de la mariée, le lendemain du jour des noces : "Nous voici devenus parents, lui dit-il, et vous m’êtes désormais si proche que je peux bien vous dire ce qui met mon coeur au supplice. Voyez : mes cheveux ont blanchi et ma barbe est chenue, et je n’ai toujours pas fait pénitence !" – "Ah ! beau-père, lui rétorqua Rabbi Eliezer, vous ne pensez qu’à vous-même. Oubliez-vous un peu et songez au monde !" ». Et Martin Buber poursuit : « Voilà qui semble contredire tout ce que j’ai rapporté jusqu’ici de l’enseignement du Hassidisme dans ces pages. Nous avons entendu que chaque homme doit faire retour sur soi-même, qu’il doit embrasser sa voie particulière, qu’il doit unifier son être, qu’il doit commencer par soi-même ; or voici qu’à présent on nous dit qu’il faut s’oublier soi-même. Pourtant, il n’est que d’y prêter l’oreille plus attentivement pour constater que cette dernière exhortation non seulement s’accorde parfaitement avec les autres, mais qu’elle l’intègre dans le tout comme un élément nécessaire, un stade nécessaire, à la place qui lui revient. Il suffit de poser cette seule question : "Pourquoi ?" Pourquoi faire retour sur moi-même, pourquoi embrasser ma voie particulière, pourquoi unifier mon être ? Et voici la réponse : pas pour moi. C’est ce qui explique également l’exhortation du chapitre précédent : commencer par soi-même. Commencer par soi, mais non finir par soi, se prendre pour point de départ, mais non pour but ; se connaître, mais non se préoccuper de soi. » (Buber, Martin, Le Chemin de l’homme, Éditions du Rocher, Paris, 1999, pp. 41-42).

 

Il y a donc « des recherches de perfection qui conduisent aux antipodes de la véritable sainteté. Quand on dit que la vie religieuse, c’est la recherche de la perfection des gens qui font profession d’être parfaits, faisons bien attention. En plein cœur du Sermon sur la montagne, Jésus nous dit : "Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait" (Matthieu V, 48). Il faut bien comprendre ; cela veut dire : Soyez père avec lui ! Donc portez le souci perpétuel de toute la communauté. La perfection du père, c’est précisément d’être tout entier donné à ses fils. » (Varillon, François, Vivre le christianisme, Éditions Bayard / Centurion, Paris, 1992, p. 217).

X

Ce jour-là, le Patriarche venait tout juste de découvrir la beauté de sa femme, alors qu’ils arrivaient au pays d’Égypte. Il avait également pris conscience que cette beauté risquait de susciter une certaine convoitise et de lui attirer des ennuis : « Quand il fut sur le point d’arriver en Égypte, il dit à Sarah son épouse : "Certes, je sais que tu es une femme au gracieux visage. Il arrivera que lorsque les Égyptiens te verront, ils diront : "C’est sa femme" ; et ils me tueront, et ils te conserveront la vie. Dis, je te prie que tu es ma sœur ; et je serai heureux par toi, car j’aurai, grâce à toi, la vie sauve. » (Genèse XII, 11-13).

 

Pour Sarah, renoncer à son statut d’épouse, en se présentant comme la sœur d’Abraham, exigeait un renoncement à son statut social et à tout ce qui pouvait la valoriser. Considérant les circonstances, cela l'exposait en outre à la convoitise des Égyptiens. Pourtant, elle n’hésita pas un seul instant à le faire pour enseigner à son époux jusqu’où l’amour du frère doit nous conduire. Devant Pharaon à qui elle fut amenée (Genèse XII, 14-15), elle refusa toutefois qu’on lui manque de respect, qu’on la viole et qu’on remette en question son alliance avec Abraham, symbole d’une alliance plus grande encore avec Dieu. Aussi, elle affirma avec force son statut d’épouse et fut reconduite auprès de son mari, nous enseignant que l’amour du prochain, bien qu’il implique de renoncer à tout, même à la vie, ne nous contraint pas à accepter qu’on nous manque de respect ou à renoncer aux exigences de l’alliance, à celles de l’amour.

X

Pour comprendre l’efficacité de ce rite, il suffit d'évoquer ce qui arriva aux apôtres le jour de la Pentecôte, préfiguration de la confirmation. En effet, nous savons qu’à l'heure de la Passion, les disciples du Christ furent effrayés au point qu’ils prirent la fuite au moment où ils virent arrêter leur Maître. Pierre lui-même, qui avait été désigné comme leur « chef », s'effraya à la voix d’une simple femme, et nia par trois fois qu’il était le disciple de Jésus (Marc XIV, 66-72). Tous se sont ensuite enfermés dans une maison, par peur des Juifs (Jean XX, 19). Encore craintifs et faibles, ils furent toutefois remplis du Saint-Esprit au jour de la Pentecôte et se mirent à prêcher hardiment, et en toute liberté, l'Évangile qui leur avait été confié, considérant qu’il n’y avait pas de plus grand bonheur que celui d’être jugés dignes de souffrir les affronts, la prison et les tourments pour le nom du Christ (Actes V, 41). Or c’est précisément ce que produit également le sacrement de la confirmation à l'origine de l'ordre de chevalerie et qui évoque déjà tous les idéaux chevaleresques qui s’y rattachent.

 

Dans cette perspective, le cardinal Villeneuve écrivait : « Que dites-vous en face du gros garçon indolent, irrésolu et pleureur, qui cède et s’affaisse devant la moindre contradiction et devant le moindre obstacle ? - Mais défends-toi, attaque ! lui crions-nous. Prends ton courage à deux mains ! Eh bien ! mes Frères, ce lâche, n’est-ce point communément chacun de nous. Devant la tentation, l'on n’a point de résistance, on faiblit, on se plaint, on se décourage. Se décourager, perdre son coeur et son courage, à cause des travaux de la vie chrétienne, à cause des épreuves, à cause des périls, à cause même des blessures : mais non ! N’est-ce point agir comme le grand garçon niais, mol et sans fierté ? Ô chrétien, mais prends donc ton courage à deux mains ! Ô confirmé, prends le Saint-Esprit à deux mains, prends sa crainte et sa force, sa piété et son conseil, sa science, son intelligence et sa sagesse, prends sa grâce victorieuse et sois toi-même un vainqueur. » (Cardinal J.-M.-R. Villeneuve, La Confirmation, Instructions prononcées en la Basilique-Cathédrale de Québec, Fidès, Montréal, 1946, pp. 109-110).