« J'étais joyeux que l’on me dise : Allons à la Maison du Seigneur !

Enfin nos pieds s’arrêtent dans tes portes, Jérusalem ! »

Psaume 122 (121), 1-2.

 

L’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste possède une nef centrale impressionnante qui conduit à un chœur magnifique. Haut de près de seize mètres, le plafond de la nef est en forme de bateau inversé. Le mot « nef » désigne d’ailleurs un « bateau », nous rappelant que ce lieu est d’abord un grand navire qui permet une traversée nous conduisant vers l’autre rive, celle du monde divin. Un parallèle fut du reste très tôt établi entre le navire et l’Église. Le texte de l'ordination des évêques, d’après les Constitutions apostoliques, y faisait d’ailleurs déjà allusion : « Lorsque tu rassembles l'Église de Dieu, veille comme le pilote d’un grand navire, à ce que les réunions se fassent en ordre. Prescrit aux diacres, comme à des matelots, d'indiquer leur place aux frères, comme à des passagers. Que l’Église soit tournée vers l’orient, comme il convient à un navire… » (cité in Bayard, Jean-Pierre, La Légende de saint Brandan, Guy Trédaniel, Paris, 1988, p. 151). La nef est donc un navire tourné vers l’orient, le lieu du soleil levant. Le terme « orient », provenant du latin orior, signifie « je me lève » ou « je nais ». En pénétrant dans la nef, il s’agit donc de se tourner vers ce qui est susceptible d'assurer notre renaissance.

 

 

Nef centrale de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste


Dans de nombreuses traditions, l’Est est mis en rapport avec le printemps, une saison principalement marquée par le réveil de la nature jusqu’alors endormie. Dépouillés de leurs feuilles au cours de l’automne, les arbres reverdissent alors grâce aux températures plus clémentes, aux pluies fréquentes et au soleil dont le rayonnement se fait plus présent et plus puissant. En effet, la sève descendue dans leur tronc remonte et les bourgeons, demeurés fermés tout l'hiver, s'ouvrent pour que de nouvelles feuilles fassent leur apparition, grandissent et s'épanouissent. Certains arbres fruitiers s’éveillent en outre en laissant d’abord apparaître des fleurs qui sont ensuite emportées par le vent, laissant place à de jeunes feuilles. Les prairies et les champs, quant à eux, se recouvrent de fleurs et d'une herbe tendre, un plaisir pour les animaux herbivores. Ainsi, le printemps incarne un nouveau départ, soutenu par une activité céleste clémente qui prodigue à la nature toutes les ressources dont elle a besoin.

 

Ainsi donc, l’Est est associé avec l’aurore qui « chaque matin est là, symbole de toutes les possibilités, signe de toutes les promesses. Avec elle recommence le monde et tout nous est offert. L'aurore annonce et prépare l’épanouissement des récoltes, comme la jeunesse annonce et prépare celui de l’homme. Symbole de lumière et de plénitude promise, l’aurore ne cesse, en chacun, d’être l’espoir. » (Chevalier, Jean et Gheerbrant, Alain, Dictionnaire des Symboles, Robert Laffont, Paris, 1982, p. 86). Aussi, il n’est pas étonnant que la nef orientée vers l’Est évoque, pour le chrétien, la vertu d'espérance dont l’emblème est une ancre marine. Comme nous le rappelle saint Jean de la Croix, il s’agit de « cette tension vers l’avenir qui correspond à une protection contre le monde » (Jean de la Croix, Oeuvres complètes, Desclée de Brouwer, Paris, 1985, p. 482), contre ces propositions provenant d’un monde fini et limité.

 

Ainsi, l’espérance ne peut être placée qu’en la vie éternelle. Je pense ici à ces paroles que le prêtre formule au début de la messe, lorsqu’il se trouve encore au bas de l’autel : « Pourquoi es-tu triste mon âme ? Pourquoi me troubles-tu ? ». Si son âme est triste, c’est parce qu’elle a été déçue dans ses espoirs humains, les ayant certainement placés en des choses qui ne se sont pas accomplies comme elle l’aurait souhaité. Elle devient ainsi source de trouble. Face à la tristesse qui l’envahit, le prêtre déclare toutefois : « Espère en Dieu, car je le louerai encore ; il est le salut de mon visage et mon Dieu. » (Rituel de la Messe in Grand Missel-Rituel et Vespéral par l’Abbé A. Guilhaim et H. Sutyn, Établissements Henri Proost & Cie, Turnhout (Belgique), 1959, p. 1022). Ces paroles évoquent tout le mystère de la vertu d'espérance qui donne la joie : « Soyez joyeux dans l'espérance ! » (Romains XII, 12). Si l’homme est triste, c'est qu’il est encore prisonnier de ses espoirs et qu’il se refuse à l'espérance, n’ayant pas su accorder une véritable place à la réalité nouvelle qui lui est proposée. Son coeur est alors encombré de mille et un projets qui le vouent à l'obtention momentanée d’une gloire bien éloignée de la transcendance à laquelle il aspire vraiment. Espérer, c’est vouloir vivre d’une vie nouvelle.

 

Ceci étant, le plafond, qui ressemble à une barque inversée, nous rappelle que nous ne pouvons placer notre bonheur dans les réalités du monde, notre aspiration devant être soutenue par quelque chose de plus vaste. Si nous observons de plus près ce plafond, nous constatons en outre que des croix inversées le soutiennent. Selon la tradition, saint Pierre fut crucifié la tête en bas, par humilité à l’égard de son Maître, l’apôtre croyant qu’il ne méritait pas d’être exécuté de la même façon que lui. Ces croix nous le rappellent donc éloquemment. Mais, le fait d’avoir la tête en bas peut également évoquer un total renversement de la conscience, l’apôtre voyant dès lors le monde à l’envers. Ce qui est tenu pour sage en ce monde devient ainsi folie aux yeux de Dieu : « Si quelqu’un parmi vous croit être sage à la façon de ce monde, qu’il se fasse fou pour devenir sage ; car la sagesse de ce monde est folie auprès de Dieu. » (1 Corinthiens III, 18-19). Dans cette perspective, notre regard doit être transformé et nous devons descendre les montagnes terrestres pour gravir les montagnes célestes, comme nous y invite saint Bernard dans ses sermons sur l'Ascension.

 

 

Plafond de la nef centrale

de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste

en forme de barque inversée

 

Gravir la montagne de Dieu suppose toutefois d’avoir renoncé, dans un premier temps, à toutes ses prétentions égoïques articulées autour d’une quête de pouvoir, d’avoir et de valoir. La descente des trois montagnes terrestres permet alors de gravir les trois montagnes divines, celles du don, de l’accueil et de la participation à la réalité de l’autre.

 

Au terme de la nef, éclairée de part et d’autre par des fenêtres latérales, se trouve du côté Nord une chaire richement sculptée, surélevée et surmontée de la croix. Cette croix a été réalisée en mémoire de Charles King, décédé en 1903, et de Bessie King, décédée en 1896. Quant au dais de la chaire, en chêne sculpté, il fut réalisé en mémoire de William Amherst Haies, décédé en 1935, et de sa femme Ellen Derbishire, décédée en 1924. C’est dans cette chaire que l’officiant vient partager le pain de la parole en proposant une lecture des textes du jour. Lors de la messe, une épître et un évangile sont en effet proposés à la méditation des croyants, selon l’antique usage synagogal ou un passage de la Thora était lu, ainsi qu’un extrait d’un ouvrage saint destiné à mieux comprendre la parole de Dieu. Conformément à cette pratique, l’Église propose la lecture d’un passage des évangiles, accompagné de celle d’une épître permettant d’éclairer le sens de ce passage. Au moment du sermon, il s’agit donc de procéder à la manducation des écritures, car le pain de la parole qui n’est pas digéré par les enzymes adéquats ne peut nourrir vraiment. C’est la tâche du prédicateur de rendre cette nourriture accessible.

 

 

La chaire de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste

 

Ainsi s’accomplit ce mot de l’Écriture : « Si quelqu’un garde ma parole, il ne goûtera jamais la mort » (Jean VIII, 5), et si nous sommes les passagers d’un vaisseau qui nous conduit vers une nouvelle patrie, nous réunissant, au-delà de la mort, autour de notre Créateur pour participer à la vie éternelle qu’Il nous propose de partager, nous devons recevoir les vivres nécessaires pour réussir cette traversée : la Parole et le Pain consacré. Et c’est ce que nous recevons au cours de notre voyage, alors que l'Évangile nous est solennellement présenté et expliqué. Les mystères eucharistiques sont ensuite célébrés pour nous nourrir d’une manière encore différente. Ainsi, tous les événements, heureux comme malheureux, contribuent à nous conduire vers notre accomplissement.

 

Symétriquement opposé à la chaire, du côté Sud, se trouve un lutrin disposé sur une tribune surélevée où l’on monte par degrés. Il a été réalisé en mémoire de Marv C. Shreve, décédé en 1911. Dans l’Ancien Testament, Esdras lisait déjà la Loi du haut d’une estrade, devant le peuple assemblé : « Esdras se tenait sur une estrade de bois, construite pour la circonstance. […] Il ouvrit le livre au regard de tout le peuple – car il dominait tout le peuple – et, quand il l’ouvrit, tout le peuple se mit debout. » (Néhémie VIII, 4-5). Cet usage s’était généralisé dans les synagogues où la tribune portait toujours le nom de bimah, du mot hébreu bamah désignant la « hauteur ». Une fois encore, la tradition chrétienne a repris cet usage, et le Pontifical recommande aux lecteurs « qu’ils se tiennent en un lieu élevé, pour que tous les entendent et les voient… ». Ce lutrin est donc surélevé par rapport aux fidèles, mais il ne l'est pas par rapport au sanctuaire.

 

 

Lutrin en forme d’aigle

de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste

 

Là sont proclamées les lectures, et les lecteurs s’y succèdent selon leur ordre. Le chantre du graduel y monte aussi. L'écoute et l'accueil de ces lectures constituent un moment essentiel de toute célébration chrétienne car elles sont aussi une nourriture spirituelle pour la vie quotidienne, et une source sur laquelle peut s’appuyer le témoignage que chacun est invité à faire. Le lutrin de notre Église-Cathédrale est orné d’un aigle magnifique qui évoque une capacité à pénétrer les mystères divins, comme l’affirmait déjà Denys l’Aréopagite en disant que cet oiseau est doué de la faculté de contempler « librement, droitement et sans décliner » la lumière du Soleil (Denys l'Aréopagite, La Hiérarchie Céleste, Éditions du Cerf, Paris, 1958, p. 186). Ainsi, « l’aigle fixant le soleil, c’est encore le symbole de la perception directe de la lumière intellective. "L’aigle regarde sans crainte le soleil bien en face, écrit Angelus Silesius. » (Chevalier, Jean, Gheerbrant, Alain, Dictionnaire des Symboles, Robert Laffont, Paris, 1982, p. 12). Regarder le soleil, c’est effectivement contempler Dieu, comme les mystiques y ont fréquemment fait allusion en utilisant l’image de l’aigle pour évoquer cette réalité. Le sage comparait même la prière aux ailes de l'aigle s'élevant vers la lumière. Dans cette perspective, il incarne bien la perception des mystères divins et les anciens y ont perçu une image du prophète qui est d’abord un « voyant », comme nous le précise Samuel : « Le prophète de nos jours s'appelait alors le voyant. » (1 Samuel IX, 9).

 

Percevant le plan de salut proposé par Dieu, le prophète invite alors les hommes à renoncer à leurs attentes humaines pour adhérer à la dynamique voulue par Dieu en le mettant en oeuvre au sein de leur existence. Jean-Baptiste, le dernier des grands prophètes de l’Ancien Testament, « cet homme envoyé de Dieu » (Jean I, 6) pour « rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui » (Jean I, 7), incarnait magnifiquement la figure du prophète symbolisé par l’aigle. Il n’est donc pas étonnant que cet aigle, associé au lutrin, et sculpté dans du chêne, porte la Bible sur son dos.

 

Parcourons donc la nef avec la joie de l’espérance, afin de pouvoir arriver à notre destination.