« Nul n’a de plus grand amour que celui-ci :

donner sa vie pour ses amis. »

Jean XV, 13.


L’origine de la dévotion du chemin de croix remonte au quatorzième et quinzième siècles. Les Franciscains, qui recevaient les fidèles, venus en pèlerinage à Jérusalem, pour participer à la passion de Jésus en cheminant sur un parcours allant du tribunal de Pilate au calvaire, prirent alors l’initiative d’étendre cette pratique à ceux qui ne pouvaient se rendre en terre sainte. Ceci étant, il s’agit d’une dévotion essentiellement catholique, celle-ci n’étant apparue qu’après le schisme de 1054. Comme le chemin de croix n’existe pas davantage dans l’Église anglicane, celui de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste ne fut installé qu’en 2012, à la demande de Dom Charles-Rafaël Payeur, après les restaurations des murs intérieurs de l’église. Il date de la fin du dix-neuvième et chacune de ses stations est constituée d’une peinture à l’huile, réalisée sur cuivre, sur fond d’or et trame de style gothique. La peinture sur cuivre présente l’avantage d’être moins fragile qu’une toile et de mieux résister aux variations de température. Chaque station est ornée d’un cadre en chêne massif, surmonté d’une croix, comme le prévoit la tradition.

 

 

La première station du chemin de croix

de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste

 

Chaque station du chemin de croix symbolise une étape du chemin parcouru par le Christ lors de sa montée au calvaire. Le nombre de stations varia dans le passé, comme les thèmes illustrés. Il fallut attendre la fin du dix-septième siècle pour que leur nombre soit fixé à quatorze, par les papes Clément XII et Benoît XIV qui donnèrent au chemin de croix la forme qu'on lui connaît aujourd’hui. Les « stations » ainsi fixées rappellent des épisodes rapportés par les évangiles, ou des scènes empruntées à une tradition plus large, comme la rencontre avec Véronique, ou les trois chutes du Christ portant sa croix. Certaines scènes sont  donc tirées des évangiles, alors que d’autres appartiennent à la tradition orale.

 

 

Les  quatorze stations du chemin de croix

de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste

 

Ceci étant précisé, Dom Charles-Rafaël Payeur nous invite à revisiter chaque station, afin d’y percevoir autant d’étapes constituant un véritable parcours initiatique. Celui-ci favorise un véritable processus de divinisation de l’homme en lui indiquant la voie privilégiée de sa conformation au grand mystère de l’amour. Dans cette perspective, le canon traditionnel rassemble les scènes suivantes, chacune associée à un enjeu psycho-spirituel précis sur le chemin de l’amour :

 

  • Première station - Jésus est condamné à mort
    X

    Première station

    Jésus est condamné à mort


    Première station du chemin de croix

    de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste


    L’enjeu initiatique

    Se tourner vers l’intérieur et faire silence pour s’ouvrir à une vie nouvelle, aux antipodes de l’esprit du monde.


    Le verset correspondant

    « Les grands prêtres multipliaient contre lui les accusations. Et Pilate de l’interroger de nouveau : "Tu ne réponds rien ? Vois tout ce dont ils t’accusent !" Mais Jésus ne répondit rien, si bien que Pilate était étonné. » (Marc XV, 4-5)


    L’attribut

    L’attribut est le don de crainte qui consiste à craindre de s’éloigner de Dieu, cherchant à demeurer dans l'expérience de sa Présence.

  • Deuxième station - Jésus est chargé de sa croix
    X

    Deuxième station

    Jésus est chargé de sa croix


    Deuxième station du chemin de croix

    de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste


    L’enjeu initiatique

    Accepter de mourir à son univers propre et à ses limites, pour accueillir une réalité nouvelle.


    Le verset correspondant

    « Jésus sortit, portant sa croix, et vint au lieu du Crâne – ce qui se dit en hébreu Golgotha. » (Jean XIX, 17)


    L’attribut

    L’attribut est le don de piété qui consiste à valoriser pleinement la présence divine, louant Dieu pour les ressources qu’il nous prodigue.

  • Troisième station - Jésus tombe sous le poids de sa croix
    X

    Troisième station

    Jésus tombe pour la première fois


    Troisième station du chemin de croix

    de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste


    L’enjeu initiatique

    Se libérer de la dynamique de l’avoir pour valoriser celle du don, première exigence de l’amour.


    Le verset correspondant

    « Ce que j’ai, je te le donne… » (Actes III, 6)


    L’attribut

    L’attribut est le don de science qui consiste à connaître ce que je suis et les justes rapports que je dois entretenir avec la création et avec Dieu.

  • Quatrième station - Jésus rencontre sa très sainte mère
    X

    Quatrième station

    Jésus rencontre sa mère


    Quatrième station du chemin de croix

    de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste


    L’enjeu initiatique

    Accepter l’ultime blessure qui remet en question notre vie et nous oblige à voir l’avenir de manière nouvelle.


    Le verset correspondant

    « Vois, ton Fils qui est là provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de division ; et toi-même, ton cœur sera transpercé par une épée. » (Luc II, 34-35)


    L’attribut

    L’attribut est le don de force qui consiste à ne pas craindre de mourir à soi-même pour renaître différent.

  • Cinquième station - Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix
    X

    Cinquième station

    Symon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix


    Cinquième station du chemin de croix

    de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste


    L’enjeu initiatique

    Reconnaître son impuissance à parvenir à une vie nouvelle sans la présence et le soutien de l’autre, sans la relation.


    Le verset correspondant

    « Pendant qu'ils l'emmenaient, ils prirent un certain Simon de Cyrène, qui revenait des champs, et ils le chargèrent de la croix pour qu'il la porte derrière Jésus. » (Luc XXIII, 26)


    L’attribut

    L’attribut est le don de conseil qui consiste à aborder les problématiques de la vie conformément aux exigences de l’amour.

  • Sixième  station - Une femme pieuse essuie la face de Jésus
    X

    Sixième station

    Sainte Véronique essuie le visage de Jésus


    Sixième station du chemin de croix

    de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste


    L’enjeu initiatique

    Ne plus valoriser les modèles de ce monde et se tourner vers des idéaux tout à fait nouveaux.


    Le verset correspondant

    « Il a grandi sans beauté ni éclat pour attirer nos regards, et sans apparence qui nous eût séduits… » (Isaïe LIII, 2)


    L’attribut

    L’attribut est le don d’intelligence qui consiste à percevoir la gratuité du monde et renoncer à l’avoir, au pouvoir et au valoir.

  • Septième station - Jésus tombe pour la seconde fois
    X

    Septième station

    Jésus tombe pour la deuxième fois


    Septième station du chemin de croix

    de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste


    L’enjeu initiatique

    Se libérer de la dynamique du pouvoir pour valoriser celle de l’accueil, seconde exigence de l’amour.


    Le verset correspondant

    « La puissance se déploie dans la faiblesse. » (2 Corinthiens XII, 9)


    L’attribut

    L’attribut est le don de sagesse qui consiste à savoir qu’il existe un primat de l’amour sur l’être, un primat de la relation sur l’être, une relation qui donne à Dieu d'exister.

  • Huitième station - Jésus console les filles de Jérusalem
    X

    Huitième station

    Jésus rencontre les femmes de Jérusalem

     

    Huitième station du chemin de croix

    de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste


    L’enjeu initiatique

    Regarder différemment sa vie et s'engager à transformer ce qui n’est pas conforme aux exigences de l’amour.


    Le verset correspondant

    « Se retournant vers elles, Jésus dit : "Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Car voici venir des jours où l’on dira : Heureuses les femmes stériles, les entrailles qui n’ont pas enfanté, et les seins qui n’ont pas nourri ! » (Luc XXIII, 28-29)


    L’attribut

    L’attribut est la vertu de prudence qui consiste à donner une orientation précise à sa vie, en fonction d’objectifs et de valeurs liés à sa vocation.

  • Neuvième station - Jésus tombe pour la troisième fois
    X

    Neuvième station

    Jésus tombe pour la troisième fois


    Neuvième station du chemin de croix

    de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste


    L’enjeu initiatique

    Se libérer de la dynamique du valoir pour exalter celle d’une participation à la réalité de l’autre, troisième exigence de l’amour.


    Le verset correspondant

    « Revêtez-vous de l’humilité dans vos rapports mutuels » (1 Pierre V, 5)


    L’attribut

    L’attribut est la vertu de tempérance qui consiste à sélectionner intelligemment ce qui me nourrit.

  • Dixième station - Jésus est dépouillé de ses vêtements
    X

    Dixième station

    Jésus est dépouillé de ses vêtements


    Dixième station du chemin de croix

    de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste


    L’enjeu initiatique

    Renoncer à ses propres ressources, fruits de toute une vie, afin de les offrir à l’autre pour le soutenir et le valoriser.


    Le verset correspondant

    « Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses habits : ils en firent quatre parts, une pour chacun, et la tunique. » (Jean XIX, 23)


    L’attribut

    L’attribut est la vertu de justice qui consiste à rayonner ce que je suis, sachant échanger avec l’autre équitablement.

  • Onzième station - Jésus est cloué sur la croix
    X

    Onzième station

    Jésus est cloué sur la croix


    Onzième station du chemin de croix

    de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste


    L’enjeu initiatique

    Renoncer à son projet propre, pour répondre pleinement à l’appel de l’autre.


    Le verset correspondant

    « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. » (Marc VIII, 34)


    L’attribut

    L’attribut est la vertu de force qui consiste à ne pas craindre le changement, acceptant la remise en question au niveau de ses projets.

  • Douzième station - Jésus meurt sur la croix
    X

    Douzième station

    Jésus est cloué sur la croix


    Douzième station du chemin de croix

    de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste


    L’enjeu initiatique

    Se donner entièrement à l’autre, dans un renoncement à sa propre vie, afin de lui appartenir tout entier et d’en être rassuré.


    Le verset correspondant

    « Et, jetant un grand cri, Jésus dit : "Père, en tes mains, je remets mon esprit". Ayant dit cela, il expira. » (Luc XXIII, 46)


    L’attribut

    L’attribut est la vertu de foi qui consiste à accueillir Dieu et son projet bien qu’il soit différent du mien.

  • Treizième station - Jésus est descendu de la croix et remis à sa mère
    X

    Treizième station

    Le corps de Jésus est détaché de la croix


    Treizième station du chemin de croix

    de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste


    L’enjeu initiatique

    Percevoir dans les épreuves qui semblent contredire le nouvel ordre du monde, les « signes » subtils de la puissance de l’amour.


    Le verset correspondant

    « Quand ils virent qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais l’un des soldats lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l’eau. » (Jean XIX, 34)


    L’attribut

    L’attribut est la vertu d’espérance qui consiste à renoncer à tous ses espoirs humains pour n’orienter son désir qu’en l'accomplissement de la promesse de Dieu.

  • Quatorzième station - Jésus est mis au tombeau
    X

    Quatorzième station

    Le corps de Jésus est détaché de la croix


    Quatorzième station du chemin de croix

    de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste


    L’enjeu initiatique

    « Descendre » vers les autres et prendre soin d’eux, dans une attitude de compassion et de joie profonde.


    Le verset correspondant

    « Nicodème vint aussi, apportant un mélange de myrrhe et d’aloès, d'environ cent livres. Ils prirent donc le corps de Jésus et le lièrent de linges, avec les aromates. » (Jean XIX, 39-40)


    L’attribut

    L’attribut est la vertu de charité qui consiste à soutenir le développement de l’autre et y trouver de la joie.

 

Ces quatorze stations sont généralement disposées, depuis l’extrémité Est de la nef Nord, jusqu’à l’extrémité Est de la nef Sud, en passant par l’Ouest. Ce circuit, inversé par rapport à la circumambulation habituelle dans une église, montre que le parcours ainsi balisé est étroitement associé à la mort et ne sera pleinement accompli que dans l’expérience de la mort, au sens fort du terme. Dès lors, le chemin de croix se fait habituellement dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, bien que cela ne soit pas une règle absolue.

 

Dans notre Église-Cathédrale, il est intéressant de noter que son point de départ se fait sous le regard de l’Ange, l’un des quatre Vivants. Il nous invite essentiellement à faire en sorte que notre action soit conforme aux engagements de notre foi. Il se termine sous le regard du Lion qui nous invite, pour sa part, à vivre pleinement le sacrifice de soi dans la pratique de la charité.

 

 

La pratique du chemin de croix

 

Avant de préciser des modalités plus techniques dans la pratique du chemin de croix, il importe de rappeler qu’il ne s’agit pas d’un chemin de pénitence douloureux et larmoyant, comme trop de fidèles l’ont malheureusement considéré au cours des siècles. En effet, cette dévotion a trop souvent évolué vers des formes de piétismes fortement empreintes de dolorisme. Le chemin de croix était alors vécu dans un état d’esprit qui pourrait se résumer ainsi : « Offre tes souffrances personnelles à Jésus qui a souffert pour tes péchés. ». Rien n’est pourtant plus contraire à la foi chrétienne qu’une telle vision des mystères de la Passion. En effet, le chemin de croix ne fut pas pour le Christ une simple avancée vers le lieu de son supplice. Chacun de ses pas, chacun de ses gestes et chacune de ses paroles matérialisèrent un aspect du mystère de la divinisation.

 

Ainsi, le sacrifice de la croix n’a pas d’abord été vécu pour « enlever les péchés du monde », mais pour indiquer le chemin qui conduit l’homme à l’expérience de sa divinisation : « Celui qui veut marcher derrière moi, qu'il se renonce lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. » (Mt XVI, 24). C’est d’ailleurs dans cette perspective que la croix fut pour le Christ une « heure de gloire ». De même, pour les chrétiens, elle est un chemin qui les prépare à une expérience de participation à la nature divine, ce qu’est le véritable sens du sacrifice de la croix : « …accordez-nous, selon le mystère de cette eau et de ce vin, de prendre part à la divinité de Celui qui a daigné revêtir notre humanité… » (Liturgie catholique traditionnelle, Messe de Saint Pie V). À cet égard, faut-il rappeler l’affirmation sans cesse répétée des Pères de l’Église, affirmation sur laquelle repose fondamentalement le christianisme : « Deus homo factus est ut homo fieret Deus. » (Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit fait Dieu).

 

Dans cette perspective, le chemin de croix, loin de tout dolorisme malsain et déviant, devient un parcours de réflexion et de prière sincères portant sur le mystère de l’amour et de la renaissance. En effet, il est essentiellement au coeur d’une cérémonie qui nous fait revivre les événements de la passion du Christ en nous permettant de réfléchir sur sa signification, tout en méditant sur la manière de concrétiser les différents enjeux qu’elle incarne dans notre vécu quotidien. La pratique du chemin de croix est particulièrement fréquente lors des vendredis du carême, et, plus encore, le vendredi saint. Elle a bien souvent un caractère communautaire, étant accompagnée de divers chants et prières, dont la séquence du Stabat Mater Dolorosa. Cependant, il s’agit d’abord d’une pratique personnelle et privée.

 

Sur un plan plus technique, le Chapitre Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Jean l’Évangéliste propose aux pèlerins, de passage dans son Église-Cathédrale, de parcourir son chemin de croix en méditant sur le mystère correspondant à chacune des stations. En faisant cette déambulation, le corps est associé à la méditation, ce qui est fort important. La voie judéo-chrétienne a d’ailleurs toujours été celle d’un certain nomadisme. En ce qui concerne la durée des méditations, il n'y a pas d’exigences particulières. Il n’est pas davantage nécessaire de réciter des prières spécifiques, bien que Dom Charles-Rafaël Payeur propose un petit rituel, utilisant des prières qui évoquent clairement les enjeux associés aux différentes stations. Il peut évidemment être modifié selon la sensibilité de chacun.

X

Dès les premiers siècles, de très nombreux chrétiens voulaient marcher sur les pas du Christ, au lieu même de sa Passion, malgré les difficultés que représentait le fait de se rendre à Jérusalem. Ce type de pèlerinages était évidemment très populaire au cours de la semaine sainte. Après un  temps d’occupation de la Terre Sainte par les Turcs, les pèlerinages reprirent de plus belle, grâce aux croisades qui avaient réouvert la route. Comme les Franciscains étaient les gardiens des lieux saints, en vertu d'un accord passé avec les Turcs, ils dirigeaient les exercices spirituels que les pèlerins faisaient à Jérusalem, sur la « Via Dolorosa » qui allait du tribunal de Pilate, dans la ville basse, jusqu'au saint sépulcre, en passant par le Golgotha.

 

À partir du quatorzième siècle, les Franciscains commencèrent à faire des représentations des épisodes de la passion du Christ pour tous ceux qui ne pouvaient aller à Jérusalem. C’est ainsi qu’ils imaginèrent et diffusèrent la nouvelle dévotion du chemin de croix, comme ils l’avaient fait pour la crèche de la nativité. Ainsi, les pèlerins qui voulaient raviver leur souvenir de la ville sainte, ou ceux qui ne pouvaient s’y rendre, ont commencé à parcourir ce « chemin » dans les rues de leurs cités, comme s'ils étaient dans les rues de Jérusalem, s'arrêtant à chaque station pour méditer les étapes du parcours. Pour cela, l'itinéraire était évoqué par des  croix, tout au long des chemins, ou par des tableaux lorsque la dévotion se faisait dans une église.

 

C'est seulement sous le pape Clément XII, en 1731, que la permission fut ensuite donnée de créer des chemins de croix dans d'autres églises que celles des Franciscains. Saint Léonard de Port-Maurice en fut dès lors un ardent propagateur, au point où Benoît XIV dut même limiter la diffusion à un seul chemin de croix par paroisse.

X

Le nombre de stations n’est évidemment pas arbitraire, puisque les nombres ont traditionnellement une signification qualitative. Pour en découvrir le sens, il importe de se référer à la tradition hébraïque où un rapport étroit existe entre les vingt-deux lettres de l’alphabet et les nombres, chacune possédant une valeur numérique intrinsèque. Ainsi, pour écrire le nombre 14, il faut utiliser la lettre Yod, de valeur 10, et la lettre Daleth, de valeur 4. Or ces deux lettres forment également le mot yad qui désigne la « main », celle-ci évoquant, sur un plan symbolique, un prolongement de l’esprit (symbolisé par la tête), et l'instrument de son action.

 

C’est dans cette perspective que Ernest Aeppli écrit : « Les rêves de la main signifient notre activité. Celle-ci peut être fâcheuse et alors notre main est sale. Peut-être sommes-nous aussi impuissants que Lady Macbeth à laver le sang de notre faute. Les animaux, représentant nos impulsions "animales", peuvent nous mordre la main et paralyser de cette façon notre activité pendant un certain temps. » (Aeppli, Ernest, Les rêves et leur interprétation,  Paris, Payot, 2002, p. 218). Plus précisément encore, la main incarne une action transformatrice, alors que le souffle exerce davantage une action créatrice. Ainsi, l’image du bras fut couramment employée pour représenter l’action de Dieu intervenant en vue de transformer le monde. Lorsque les auteurs de l’Ancien Testament font allusion à la main de Dieu, avec ses quatorze phalanges, elle évoque toujours l’action de l’Éternel dans la totalité de sa puissance et de son efficacité, agissant de manière à façonner le monde. La main apparaît donc comme un outil de transformation, façonnant la créature en l’ouvrant à quelque chose de plus grand.

 

Dans cette perspective, le nombre 14 revêt un caractère bien particulier, en écho avec ce à quoi le chemin de croix nous invite.

X

Plusieurs Père de l’Église ont formulé cela de diverses manières :

 

En effet, « c’est là le motif pour lequel le Verbe de Dieu s’est fait homme et le Fils de Dieu, Fils de l’homme : c’est pour que l'homme (...) devienne fils de Dieu. » (Saint Irénée de Lyon, Contre les hérésies, III, 19, 1). De même, saint Basile considérait l'homme comme un « animal divinisable ». Ainsi, « l'homme est un animal qui a reçu la vocation de devenir Dieu... » (Paroles de Basile de Césarée rapportée par Grégoire de Naziance, in Clément, Olivier, Sources, Paris, Stock, 1982, p. 71). Dans la même perspective, saint Grégoire de Naziance affirmait : « Devenons Dieu par lui, puisque lui, à cause de nous, est devenu homme. » (Saint Grégoire de Naziance, Oratio, I), ou encore : « Il est devenu homme à cause de toi, en sorte que toi, par lui, tu deviennes Dieu. » (Ibid., XL, 45). En parlant de Jésus comme l’Incarnation de Dieu, il écrivit même : « Comment ne serait-il pas Dieu, celui par lequel, toi aussi, tu deviens Dieu. » (Ibid., XXXIX, 40). En effet, « il est devenu homme [...] afin que je devienne dieu, tout autant qu’il est devenu homme. » (Ibid., XXIX, 19).

 

De même encore, saint Athanase, l’auteur d’un Credo que nous utilisons toujours, affirmait : « Dieu s’est fait porteur de chair, pour que l’homme puisse devenir porteur de l’Esprit. » (Saint Athanase, De Incarnatione 8, P. G. T26, col 996C). Ainsi, « le Logos est devenu chair afin que nous aussi, recevant de son esprit, nous puissions être divinisés. » (Saint Athanase, De Decr. Nic. Syn., 14). Saint Grégoire de Nysse fit même de la conformité de l’homme à Dieu un thème central de ses méditations. La béatitude, disait-il, « ne consiste pas à connaître Dieu, mais à avoir Dieu en soi. » (Cité in Van Campenhausen, H., Les Pères grecs, Paris, Éditions de l’Orante, 1963, p. 166), c’est-à-dire à devenir Dieu. Ainsi, « l’homme a été conçu avec ordre de devenir Dieu ! » (Saint Grégoire de Nysse, Discours catéchétique, chap. XXV, 2, Éditions Hemmer-Lejay, p. 119), car « Il s’est mélangé à notre être, pour que notre être pût devenir divin par son mélange avec le divin. » (Ibidem).

 

Pareillement, saint Grégoire de Naziance voyait la mise en oeuvre du processus de déification de l’homme dans l'Incarnation du Christ : « Nous devenons divins par Lui », car il nous a fallu que « Dieu s’incarne et meure pour que nous puissions revivre » (Saint Grégoire de Naziance, Oratio, XLV, 21). Dès lors, « le Fils de Dieu accepte la pauvreté de ma chair afin de me faire entrer en possession des richesses de sa divinité ... » (Saint Grégoire de Naziance, Homélie sur la Nativité, P. G. 36, col. 325). Toute la patristique grecque du quatrième siècle fut d'ailleurs profondément imprégnée de cette idée. Saint Jean Chrysostome accorda évidemment une place privilégiée au thème de la déification, comme nous le rappelle fort bien Lot-Borodine (Lot-Borodine, M., La doctrine de la déification dans l’Église grecque jusqu’au Xième siècle, RHR, Paris, 1932, p. 34.). Ce thème, en tant que but et corrélat de l'Incarnation, passa ensuite aux Pères du cinquième siècle et nous le retrouvons notamment sous la plume de saint Cyrille d’Alexandrie qui écrivit : « Si Dieu est devenu homme, l’homme est devenu Dieu. » (Saint Cyrille d’Alexandrie, Rom. Hom. IX, 3). Saint Maxime le Confesseur enseigna également cette même réalité : « Dieu a créé le monde pour y devenir homme et pour que l’homme y devienne Dieu par la grâce et participe aux conditions de l'existence divine. » (Evdokimov, Paul, La femme et le salut du monde, Paris, D. D. B., 1978, p. 39).

X

En effet, « tout tient au chemin : nous sommes plus près du lieu recherché quand nous sommes en chemin que lorsque nous nous persuadons d’être arrivés à destination et n’avoir plus qu’à nous établir. Comme dit Edmond Jabès : "N’oublie jamais que tu es un voyageur en transit". » (Ouaknin, Marc-Alain, Concerto pour quatre consonnes sans voyelles, Éditions Balland, Paris, 1991, p. 161). Marc-Alain Ouaknin affirme d’ailleurs, à propos de l’être juif : « Être "homme du chemin", c’est en tout temps être prêt à se mettre en route : exigence d'arrachement, affirmation de la vérité nomade. Ainsi l’être juif s'oppose à l’être païen ; être païen, c’est se fixer, se ficher en terre en quelque sorte, s’établir par un pacte avec la permanence qui autorise le séjour et que certifie la certitude du sol. Le cheminement, le nomadisme répondent à un rapport que la possession ne contente pas. Se mettre en chemin, être en chemin, c’est déjà le sens des paroles entendues par Abraham : "Va-t’en de ton lieu natal, de ta parenté, de ta maison". » (Ibidem). Dans le même ordre d’idées, Nietzsche disait : « Seules les pensées qui nous viennent en marchant ont de la valeur. » (Nietzsche, Friedrich, « Maximes et traits », in Crépuscule des idoles, Paris, Gallimard, 1974, p. 34).